Qui suis-je ?
Dédié à la mémoire de Bilal " Zoo Project " Berreni
Je ne suis pas français, ni même européen, encore moins citoyen du monde. Je n’habite pas ici, je ne suis pas de là-bas ou d’ailleurs, je suis de nulle part. Je n’habite pas le neuf-trois, le neuf-quatre ou Paris, je n’ai pas de crew, de clan ou de team. Je ne suis pas mes parents, d’ailleurs je n’ai pas d’enfance ni même de souvenirs. Je ne suis pas Blanc, Noir ou Arabe, je ne viens d’aucun milieu, ni pauvre ni riche ; je ne corresponds pas à ma classe, ou plutôt je suis à la fois aristocrate, prolétaire et bourgeois. Je n’ai pas de culture, celle-ci – quelle qu’elle soit – m’étouffe et m’oppresse. Je ne suis pas le résultat de facteurs sociaux, un simple carrefour d’influences identifiables par des statistiques – que je m’en sorte ou que je sombre, vos chiffres n’auront rien expliqué. Je suis encore moins le représentant d’une communauté, d’un groupe ou d’un clan. Je suis ce que je suis, c’est-à-dire ce que je ne suis pas.
Je ne suis pas compétent, productif ou rentable, je n’ai pas de ressources à offrir à l'exploitation. Je n’ai jamais été une force de travail, pour la simple raison que je ne suis pas mon corps, pas plus que je n’ai d’instincts à satisfaire, fussent-ils de survie. D’ailleurs je ne vis pas selon les années, les mois, les journées ou les heures, je ne suis pas de ce temps ; je ne suis pas tendance, j’ignore la mode autant que l’époque me méprise. Je ne possède rien, je n’ai pas de stock-options, de voiture puissante ou d’appartement sur la côte. Je ne suis pas un pouvoir d’achat, un solde débiteur, un chômeur ou un sans-abri – quoique je ne sois nulle part chez moi –, je ne suis rien de tout ça. Je ne suis personne, je ne suis rien du tout, encore moins que ça. Je suis ce que je suis, car je suis un moins que rien.
Je ne suis pas un homme, je ne suis pas une femme. Je ne suis pas hétéro, ni même homo ; je n’ai pas de préférences sexuelles car j’ai tous les fantasmes, y compris et surtout les pires, en moi. Je ne suis pas un amant, un ami, ni même un frère. Je n’ai pas de prénom, celui qu’on m’a donné ne me représente pas, ne m’introduit pas dans le monde, ne me donne aucun passe-droit, ou me les offre tous. Je ne suis même pas mes goûts, encore moins ce que je consomme, je ne suis pas même connecté, abonné ou relié. Et je ne me tiendrai pas tranquillement couché dans ma niche, fût-elle cybernétique. Surtout, je ne résume pas à ma maladie, à mon handicap ou à ma névrose. Il faudrait veiller à ne pas confondre les causes et les motifs, ou encore les prétextes et les raisons d’agir. Je n’ai pas de qualités, donc pas de défauts, et réciproquement. Ou peut-être suis-je tout cela à la fois, ce qui revient au même, car je suis irréductible.