Le nouveau ton « décalé » de la télévision

Comment peut-on s’ennuyer en regardant la télévision ? C’est impossible, avec tous ces animateurs-producteurs tellement drôles et surtout tellement libres et indépendants de tout pouvoir. Que d’impertinence, d’effronteries et de galéjades à l’égard des hautes sphères ! Ils vont même jusqu’à railler leurs propres dirigeants de chaîne ; la « droite » ligne n’existe plus, pas même éditoriale, tout le monde maintenant est « décalé. » Et vers la gauche de préférence.

Elle est morte la bonne vieille télé de papa, l’époque où le ministre de l’information téléphonait aux responsables de la chaîne pour dicter ses instructions. La télévision n’est plus la voix de son maître, elle est libre et indépendante, véritable foyer hertzien de mini-révoltes quotidiennes et de subversions toujours recommencées, où les journalistes dénoncent sans vergogne, les humoristes critiquent sans crainte et où les présentateurs moquent sans peur de représailles. Ardisson ne respecte plus les tenants du pouvoir, Les Guignols tancent les puissants, se foutent même de la gueule de leur propre patron JM Messier, Marc-Olivier Faugiel pose sans relâche des questions qui dérangent, Culture Pub ou Capital dévoilent tels de nouveaux Machiavels les rouages de ce qui nous oppresse, et Ariel Wizmann est une critique de la société du spectacle à lui tout seul. Sans parler de Karl zéro, véritable rempart indispensable contre les nazis et tombeur hebdomadaire de gouvernements corrompus avec son Vrai (faux) Journal. À la télé, un seul mot d’ordre, ne plus respecter l’ordre, ne rentrer dans aucune orthodoxie : être impertinent, dé-ca-lé. Et si possible à gauche, voire à l’extrême.

Ni Dieu ni Maître, mais une audience et des actionnaires

Devons-nous croire que l’ensemble de la classe médiatique s’est soudainement converti à la critique radicale de la société de consommation, qu’elle a désormais pour tâche de libérer les téléspectateurs de l’emprise du système illusoire qui l’entretient et la promeut ? C'est-à-dire elle-même ? Que nenni. Le fait est que paraître « décalé », critique et subversif, ça fait de l’audience, que l’audience amène la publicité, et la publicité l’argent. Raccourci lumineux : sois subversif et tu feras de l’argent. De quoi réjouir les actionnaires des différentes chaînes. Comme l’affirmait cyniquement Pierre Lescure à Arrêt sur Images, l’impertinence à Canal, ça n’a pas de prix : ça rapporte trop d’argent – les guignols représentant, on le voit bien, l’exemple paradigmatique de la valeur marchande du « décalage » et de l’insoumission. Faussement critique, on comprend mieux maintenant le nouveau ton décalé de la télé, et le comportement de ses producteurs qui exploitent de façon éhontée notre ras-le-bol de la consommation et de son non-sens, en nous refourguant des émissions où l’on dénonce à longueur de temps le mercantilisme et le consumérisme ambiants, entrecoupées de coupures-pub bien sûr. Une manière assez habile de nous revendre notre insatisfaction. Un nouveau « ton » qui ne dissimule que très mal une très ancienne habitude de se foutre de notre gueule.

BIOGRAPHIE

Frédéric Gournay est né en 1969 et habite Paris. Il est auteur de romans (La course aux étoiles, Le mal-aimant, Contradictions, Faux-Frère), de divers essais (sur Rimbaud, Nietzsche, Céline, Gauguin, Flaubert, Guy Debord ou encore Pierre Guyotat). Il a également publié dans la presse et sur internet des articles et des critiques, rassemblés dans des recueils intitulés Chroniques des années zéro, Textes en liberté et Futurs Contingents.

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