Radiohead - Kid A
La pochette de l’album l’indique clairement : Radiohead se situe avec son enfant alpha « à six mille pieds au-dessus de la mer et bien au-delà de toutes choses humaines », dans des hauteurs glacées et volcaniques dont parle Nietzsche pour décrire le vrai lieu des créateurs : dans la plus grande solitude et à la limite de l’asphyxie, mais avec quel aplomb et quelle profondeur de vue. Musique ambiante animée de groove pâle, presque anémié, techno rugueuse aux effets minimalistes, arrangements classiques et instruments empruntés à la musique contemporaine ; le groupe exploite ici des tessitures musicales plus ambitieuses, expérimente des textures tonales inédites et réalise ainsi des sculptures sonores audacieuses dont les tonalités affectives ne sont pas sans rappeler la peinture émotionnelle de Rodko, son calme apparent et sa sourde violence contenue. Palpitations fragiles, voix presque désincarnée, gagnant ainsi en supplément d’âme ; cuivres incongrus, fanfare sarcastique soulignant l’absurdité du monde ; valse immobile chantant l’envie de disparaître ; plages atmosphériques consolant à peine : tout évoque ce retour à l’enfance à volonté dont est capable Thom Yorke, dans des chants aux réminiscences angoissées de réclusion forcée ou choisie. Radiohead s’écoute donc toujours autant avec le ventre, cœur pour eux de toutes les indigestions existentielles, mais ouvrant cette fois-ci la tête à des espaces infinis qui n’ont pour le coup rien d’effrayant.